Démence frontotemporale | Quelle est cette maladie neurodégénérative dont souffre Bruce Willis ? Écrit le .
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Tags: Aphasie, Démence frontotemporale, Symptômes comportementaux, et Trouble neurodégénératif.

Neuropsychologie | Qu'est-ce que la demence frontotemporale dont souffre Bruce Willis Crédit photo: Gage Skidmore

Ce n’est plus un secret, le très célèbre acteur et producteur Bruce Willis a reçu un diagnostic de démence frontotemporale, le trouble neurocognitif majeur le plus fréquent chez les moins de 65 ans. Mais qu’est-ce qui a mis la puce à l’oreille de son entourage? Certainement les symptômes comportementaux et langagiers qui la caractérisent. Et notons que, comme pour les autres types de trouble neurocognitif majeur, les impacts sur la vie du patient et de ses proches sont nombreux.

Afin d’en savoir plus, nous nous sommes entretenus avec le neuropsychologue Maxime Montembeault, expert de l’interaction entre les troubles langagiers et socio-émotionnels chez les patients atteints de troubles neurodégénératifs.

Des changements dans la partie antérieure du cerveau 

D’abord, prenons le temps de démystifier ce qu’est la démence frontotemporale (DFT). Celle-ci se caractérise par une atrophie progressive des lobes frontaux et de la partie antérieure des lobes temporaux du cerveau, ce qui entraîne des troubles de langage, de comportement, de la personnalité ou des connaissances générales.

«En plus des troubles comportementaux et langagiers, ce qui la distingue d’autres formes de maladies neurodégénératives comme le spectre de l’Alzheimer, par exemple, c’est qu’on retrouve plus de troubles de la cognition sociale et des fonctions exécutives, et moins d’atteintes au niveau des fonctions mnésiques ou visuospatiales», explique Dr Montembeault. «Cela s’explique par le fait que ces fonctions sont davantage postérieures, donc dans les régions du cerveau qui sont plus fréquemment touchées dans la maladie d’Alzheimer.» 

Et, existe-t-il plusieurs types de DFT? Oui, selon la classification la plus couramment acceptée, on distingue en fait trois sous-catégories : la variante comportementale, d’une part, et, d’autre part, les variantes langagières, soit l’aphasie primaire progressive non-fluente et sémantique. «Pour Bruce Willis, on a d’abord parlé d’un diagnostic d’aphasie il y a quelques mois, puis d’un diagnostic de démence frontotemporale tout récemment. Cela pourrait signifier que les premiers symptômes affectaient le langage et la parole», commente-t-il.

La variante comportementale: quels symptômes?

Dans la variante comportementale, qui est a priori la forme la plus courante, on observe différents patrons.

Par exemple, on compte la désinhibition, ce qui se traduit par le fait que «les personnes ont du mal à se retenir d’avoir certains comportements automatiques ou même inappropriés socialement, comme s’ils manquaient de filtres», précise notre expert. 

Se dénuder en public, voler de la nourriture ou fouiller dans des poubelles pour se nourrir peut ainsi devenir chose courante pour la personne atteinte de DFT, alors qu’elle n’avait jamais ce type de comportement dans le passé.

Qu'est-ce que la demence frontotemporale - billet de blogue AQNP - une

L’apathie – soit un manque de réaction émotionnelle, comme si la personne était toujours dans un état dépressif et déconnecté de ses émotions –, le manque de motivation, le manque d’intérêt et la perte d’empathie sont également très présents. «Cela signifie qu’une personne peut passer beaucoup de temps sur le divan à écouter la télévision, ou encore qu’elle peut avoir de la difficulté à aller prendre sa douche ou à faire des activités qu’elle aimait et qui nécessitent pourtant peu d’efforts.», illustre Dr Montembeault. 

Malheureusement, il n’y a aucune molécule qui permet de ralentir ou de guérir la maladie. «Seuls des médicaments pour améliorer certains symptômes spécifiques comme de la grande anxiété, des problèmes de sommeil, de l’agressivité, de l’agitation, des délusions et des hallucinations peuvent être administrés.»

Le neuropsychologue, un expert-clé pour le diagnostic

En vue de diagnostiquer la DFT chez le patient, le neuropsychologue va devoir consacrer du temps à documenter le plus possible les symptômes et poser des questions au sujet des comportements observés. Un grand défi sera notamment de distinguer les troubles psychiatriques (schizophrénie, dépression, bipolarité, trouble obsessionnel compulsif, autisme, troubles de la personnalité), qui présentent des symptômes similaires. Par exemple, lorsque les symptômes comportementaux sont surtout du type apathie, manque
de motivation et manque d’intérêt, un diagnostic différentiel avec la dépression s’impose. Le neuropsychologue a de bons outils pour y arriver.

Puis, des tests neuropsychologiques vont être administrés. Par exemple, «Les tâches de cognition sociale vont permettre de montrer des visages exprimant différentes émotions pour voir si la personne est capable de les détecter et de les nommer», ajoute-t-il. «Les tâches exécutives sont également importantes pour montrer les déficits d’inhibition, par exemple.»

Pour s’assurer qu’il ne s’agit pas d’une autre maladie, le neuropsychologue va aussi tester la mémoire épisodique et les habiletés visuospatiales (par exemple, voir si le patient est capable de détecter si deux lignes sont parallèles ou pas, si deux objets sont de la même taille, etc.) Cela lui permettra alors de faire un diagnostic différentiel.

Enfin, l’intervention auprès des patients sera aussi une part importante du travail du neuropsychologue. Dans le cas de la DFT, elle sera davantage comportementale: «Le but sera de modifier l’environnement pour éviter les déclencheurs de troubles comportementaux ou de mettre en place des routines structurées et prévisibles pour encourager certains types de comportements ou motiver le patient», commente Dr Montembeault. «Le travail sera fait en collaboration avec les infirmières, les ergothérapeutes, ou bien les orthophonistes pour les problèmes de langage.»

Un défi multidimensionnel pour les proches

Comme le souligne notre expert, les premiers signaux donneurs d’alerte sont les changements de personnalité ou de comportement qui touchent une personne atteinte de la variante comportementale de la DFT

Mais sont-ils évidents à détecter par les proches? «Souvent, le problème qui arrive avec la DFT, c’est que le diagnostic tombe un peu plus tard car il s’agit d’une forme de démence très méconnue et les gens peuvent consulter plusieurs professionnels avant d’être vus par un spécialiste des démences», explique-t-il. «Les troubles comportementaux et socio-émotionnels sont faciles à mettre sur le dos d’autre chose!», d’autant plus que les patients sont relativement jeunes aux premiers signes de la maladie. 

Et plus la maladie avance, plus «il peut être difficile pour les proches aidants de constater les changements de personnalité et la baisse d’empathie chez leur proche, ou de voir quelqu’un qui avait des intérêts variés s’isoler et ne plus avoir le goût de faire grand-chose.»

Gérer les comportements inappropriés et l’imprévisibilité de la personne atteinte de la variante comportementale de la DFT est tout un défi pour l’entourage : «Ça peut être compliqué de sortir en public ou d’informer les autres de la situation.» Même si le neuropsychologue recommande aux proches de ne pas cacher le diagnostic à l’entourage, il reconnaît que ce n’est pas forcément chose facile à annoncer. «Et souvent, on voit beaucoup de détresse liée aux changements de personnalité et de comportement, car c’est dur de ne plus reconnaître la personne qu’ils connaissaient avant. C’est un deuil qui peut être assez difficile.»

Par ailleurs, les comportements rigides, compulsifs et obsessionnels peuvent donner du fil à retordre. «Quand certains patients ne sont pas apathiques, ils peuvent au contraire développer des obsessions comme devenir très actifs et marcher quatre ou cinq heures par jour, ce qui devient extrêmement contraignant pour les proches», termine Dr Montembeault.

 Le conseil de notre expert

«C’est important que les proches du patient atteint de DFT prennent aussi soin d’eux, et qu’ils s’entourent bien. Demander de l’aide est important pour l’entourage, même si c’est dur au début, car c’est un marqueur de succès lorsque le poids de la proche aidance ne devient pas trop lourd.»

Dr Maxime Montembeault Neuropsychologue

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5 commentaires

  • Prévost Hélène says:

    Très intéressant. Merci.

  • Maria DA SILVA says:

    Article intéressant. Merci beaucoup

  • Marie-Hélène Bonin says:

    Ma mère qui a 86 ans a reçu un diagnostic d’aphasie primaire progressive non-fluente et sémantique il y a environ un an et demi. C’est très dur à accepter pour elle, qui était première de classe et parmi les rares femmes de sa génération à avoir fait des études universitaires de second cycle. C’est difficile aussi pour mon père, du même âge, un intellectuel qui s’est toujours reposé sur elle pour la gestion des obligations pratiques de la vie. Les rôles sont maintenant inversés et c’est lui qui doit tout gérer. Ils sont encore autonomes et vivent dans leur maison et conduisent pour se rendre à leur chalet. Ils se font dire qu’ils doivent maintenant tout quitter pour vivre dans une RPA vu l’évolution possiblement rapide de la maladie. C’est un choc, rien ne les a préparés à ça, ils envisageaient rester dans leur maison et faire appel à des soins à domicile mais désormais… J’ai deux questions : de combien de temps disposent-ils selon vous, avant de devoir déménager ? de plus, la maladie est-elle transmise génétiquement et si oui, quels sont les taux de transmission (nous sommes trois enfants) ? Merci.

    • Bonjour,

      Nous sommes désolés d’apprendre pour votre mère. Un proche qui a un trouble neurocognitif majeur est une épreuve difficile. Il n’y a aucune obligation pour la personne de déménager en RPA d’autant plus si elle est encore autonome, mais il est judicieux de planifier les soins et services avant qu’il ne soit trop tard, d’une part pour éviter l’épuisement du proche aidant (votre père) et d’autre part pour faciliter l’adaptation au nouveau milieu. Ceci dit, plusieurs vivent longtemps à domicile avant d’envisager une relocalisation. C’est du cas-par-cas. Les troubles neurocognitifs majeurs évoluent à des vitesses différentes d’une personne à l’autre et on ne peut pas déterminer d’avance ce qui en sera pour votre mère. De rester actif physiquement et cognitivement aide généralement à ralentir quelque peu l’évolution. Pour ce qui est de l’aspect génétique, certaines formes sont héréditaires, mais ce sont surtout les formes précoces (celles qui surviennent à 45-50 ans par exemple). Il y a des groupes de recherche qui étudient ces troubles et leurs familles à Montréal, dont Sven Joubert pour les APP et la démence sémantique (au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal) et Simon Ducharme pour la DFT (à l’Institut Douglas). Ils recherchent toujours de nouveaux participants. Vous pouvez les contacter pour savoir les études en cours, si cela vous intéresse.

    • EMILIE RAGNO says:

      Bonjour avez vous pu prendre contact avec eux ? Nous sommes dans la même situation et nous posons les même questions sur l hérédité notamment merci

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