« Tabarn*k ! » : quand sacrer permet de soulager la douleur
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Posté dans Catégories: Douleur.
Tags: Effet analgésique, Sacrer, et Soulagement de la douleur.

Rappelez-vous la dernière fois que vous vous êtes cogné l’orteil contre un meuble. Quel a été votre réflexe face à ce petit accident de la vie quotidienne? Pour beaucoup d’entre nous, c’est souvent un juron bien senti!
Le fait de sacrer nous permet-il d’avoir moins mal? Des études britanniques se sont penchées sur la question et… il semblerait que oui! L’AQNP a échangé avec Étienne Vachon-Presseau, chercheur en neurosciences spécialisé dans la douleur et professeur adjoint à l’université McGill, afin qu’il nous donne son avis sur ce phénomène.
Dans quelle mesure le juron modifie-t-il l’expérience de la douleur?
Dans une première étude réalisée en 20091, des participants ont été invités à plonger leur main dans l’eau glacée (test dit du « presseur à froid »), une fois en prononçant un juron, l’autre en prononçant un mot neutre.
Conclusion de l’expérience? Jurer augmenterait la tolérance à la douleur, la fréquence cardiaque, et diminuerait la douleur perçue! « On peut supposer que le juron induit un effet de distraction ou génère une réponse émotionnelle, ce qui pourrait inhiber certaines parties du cerveau qui construisent l’expérience de la douleur », explique le chercheur.
Il rapproche ces résultats d’autres tests d’imagerie du cerveau qui démontrent que la diffusion d’images apaisantes ou l’écoute d’un morceau de musique peut également soulager certains individus. « Mais c’est loin d’être magique! Avec la douleur, c’est rare que quelque chose marche très bien, ou alors rarement sur de gros échantillons », poursuit-il.
Plus on jure souvent, moins le soulagement serait grand!
D’autres participants ont été invités à renouveler l’expérience du presseur à froid en 20112. Mais avant de plonger la main dans l’eau glacée, ils ont dû répéter un juron à plusieurs reprises, comparativement à un mot neutre.
Les résultats tendent à démontrer une diminution de l’effet analgésique pour les personnes qui prononcent des jurons quotidiennement : « Comme dans toutes les associations, on finit par constater un épuisement ou une annulation du phénomène de distraction ou de réponse émotionnelle. Si vous jurez à chaque 2 phrases, c’est sûr que vous restez plutôt dans la normalité! », sourit M. Vachon-Presseau.
Un effet analgésique, au-delà des différences culturelles
Et si le juron n’est pas ancré dans nos schémas culturels, perd-il sa capacité à nous soulager? La même expérience, vécue cette fois par des participants japonais3, prouverait le contraire!
« Autorisés » à jurer pendant le test du presseur à froid, ils en auraient tiré les mêmes effets analgésiques que les participants britanniques, chez qui le juron est un comportement attendu. « Ce que ça me dit, c’est que ce n’est pas le juron en tant que tel qui est important, mais bien l’effet de distraction lié au fait de le prononcer. Pour les Japonais, qui n’ont pas l’habitude de le faire, c’est plutôt l’effort ou la surprise de pouvoir jurer qui les a distraits dans ce contexte expérimental », suppose-t-il.
« Tabarnak » plus efficace que « tabarouette »?
Enfin, pour obtenir l’effet de soulagement souhaité, laissez sortir un vrai bon juron, et pas un pâle dérivé plus poli! C’est ce qu’auraient constaté d’autres participants récemment soumis à la même expérience4.
Avant chaque immersion de la main dans l’eau glacée, on leur a demandé de prononcer successivement l’un des 4 termes suivants :
- « fuck », le vrai gros mot,
- « fouch », un mot inventé sensé évoquer l’émotion,
- « twizpipe », un mot inventé sensé être distrayant,
- un mot neutre.
Et vous savez quoi? Les deux jurons inventés n’auraient pas eu plus d’effet sur le niveau de tolérance à la douleur que le mot neutre!
Si ces études piquent notre curiosité, « elles restent à prendre avec un grain de sel, car elles ne sont pas confirmées par des études d’imagerie pour comprendre ce qui se passe réellement dans le cerveau », souligne M. Vachon-Presseau. S’il imagine très bien le phénomène de décharge émotionnelle, ou de distraction du stimulus, le juron ne pourrait pas selon lui « jouer un rôle analgésique que sur une douleur aigüe qui disparait très rapidement ».
Le voilà, l’avis d’expert que vous attendiez pour hurler votre juron préféré en toute impunité! Simplement… veillez à ne pas en abuser!
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Références
1 Richard Stephens, John Atkins, Andrew Kingston, 2009.
2 Richard Stephens, Claudia Umland, 2011.
3 Olivia Robertson, Sarita Jane Robinson, Richard Stephens, 2017.
4 Richard Stephens, Olly Robertson, 2020.