Pesticides | Notre santé cognitive est-elle menacée ?
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Pesticides | Notre santé cognitive est-elle menacée ?
Suspendues jusqu’au printemps 2022.
C’est le sort réservé aux consultations lancées en juillet par Santé Canada concernant la hausse des taux de résidus de pesticides sur certaines denrées alimentaires. L’agence fédérale a dû reculer face au tollé.
C’est que le glyphosate et les autres insecticides, fongicides, herbicides et parasiticides divisent autant qu’ils effrayent. La raison ? Leurs impacts sur la santé humaine à moyen ou long terme sont encore difficiles à déterminer, et donc à mesurer.
Cela ne veut pas dire que la science reste muette sur la question.
Un groupe d’experts de l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale en France) a récemment publié un rapport intitulé Pesticides et effets sur la santé. Ce travail titanesque collige près de 5000 documents et études internationales. Même si ces études se basent sur l’observation de corrélations entre pesticides et problèmes de santé, et non sur des liens de causalité avérés, elles représentent la base de connaissances scientifique la plus convaincante — et la plus à jour — pour guider les autorités réglementaires.
Quels sont, en synthèse, les résultats de ces études en lien avec des troubles cognitifs1 et les maladies neurodégénératives ? Que sait-on aujourd’hui des impacts des pesticides sur le fonctionnement de notre cerveau ?
La réponse n’est pas simple, car elle dépend surtout :
- du type de molécule — il y en a plus de 400 !
- de la dose du pesticide,
- de la durée et du moment de l’exposition (s’est-elle produite durant une période critique du développement, comme la grossesse par exemple ?),
- et du consensus scientifique, ou non.
Des impacts possibles sur le fœtus
Attardons-nous d’abord sur le controversé glyphosate, l’ingrédient actif du Roundup. Si on redoute son action cancérigène probable, il n’existe à ce jour aucune preuve que ce pesticide est capable d’altérer les fonctions cérébrales.
Par ailleurs, la preuve d’effets neurotoxiques, tant par les données épidémiologiques que toxicologiques, est beaucoup plus solide pour d’autres molécules. C’est le cas des insecticides organophosphorés, fortement susceptibles d’altérer des capacités cognitives — comme la mémoire, l’attention, la vitesse de traitement et le raisonnement —, des capacités motrices et des fonctions sensorielles de l’enfant en cas d’exposition professionnelle ou environnementale de la mère pendant la grossesse2.
Les plus récentes études vont dans le même sens pour les insecticides pyréthrinoïdes, de plus en plus utilisés en remplacement des organophosphorés : elles concluent à une présomption forte de lien entre l’exposition pendant la grossesse et l’augmentation des troubles du comportement tels que l’anxiété chez l’enfant3.
Les agriculteurs, professionnels à risques
Chez l’adulte, le rapport indique une présomption de lien forte entre l’exposition chronique aux organophosphorés et les altérations cognitives chez les agriculteurs ou autres utilisateurs professionnels des pesticides. Cette présomption s’est renforcée depuis 2013, date du précédent rapport de l’INSERM sur cette question.
Les atteintes observées touchent généralement la mémoire de travail, l’attention, la vitesse psychomotrice, les fonctions exécutives ou les capacités visuo-spatiales. Les études récentes se sont élargies à d’autres molécules comme les pyréthrinoïdes et à des populations a priori moins exposées, comme les riverains de zones agricoles ou même la population générale. Les résultats disponibles semblent concordants, mais devront être confirmés et reproduits par davantage d’études.
Des interrogations persistantes concernant Parkinson et Alzheimer
De plus en plus d’études s’intéressent à l’hypothèse selon laquelle l’apparition de troubles cognitifs associés aux pesticides prédirait la survenue de certaines démences, comme la maladie de Parkinson.
Bien que plusieurs de ces études présentent des limites importantes liées, entre autres, à l’évaluation de l’exposition ou à l’absence de données individuelles, les résultats suggèrent (présomption faible à moyenne) que le risque de développer la maladie de Parkinson chez les personnes qui sont exposées aux pesticides pendant plusieurs années est significativement augmenté (environ 70 %4). Ce risque est accru pour l’exposition au paraquat (un herbicide non sélectif) et au roténone (un insecticide naturel). La maladie de Parkinson fait d’ailleurs partie des maladies professionnelles du régime agricole en France et, plus récemment, au Québec.
D’autres études, moins nombreuses, ont tenté de vérifier si l’exposition aux pesticides était liée à la maladie d’Alzheimer. Les données sont fragmentaires et non conclusives à ce jour, bien qu’une présomption moyenne soit avancée pour les personnes professionnellement exposées aux pesticides organochlorés tels que le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT), un puissant insecticide banni au Canada depuis les années 1970.
Alors, que penser de cette mise à jour de nos connaissances ?
Que la question des impacts des pesticides sur notre santé cognitive demeure extrêmement complexe, et les réponses encore limitées. Prudence également quant aux molécules récentes ou aux populations humaines qui n’ont pas fait l’objet d’études approfondies.
Mais la mise en évidence de présomptions fortes de liens entre des dysfonctions cognitives et l’exposition à certains pesticides existent. Elles doivent orienter les actions publiques vers une meilleure protection des populations.
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1 La notion de trouble est présentée dans ce rapport dans son sens très large, c’est-à-dire fait référence à toute diminution d’une performance ou d’une capacité cognitive, avec ou sans diagnostic.
2 Le mécanisme d’action principal des insecticides organophosphorés est de bloquer la dégradation de l’acétylcholine au niveau des synapses par l’inhibition des cholinestérases.
3 Les données expérimentales sur des rongeurs suggèrent une hyperperméabilité de la barrière hémato-encéphalique aux pyréthrinoïdes aux stades les plus précoces du développement, confortant la plausibilité biologique de ce lien.
4 Gunnarsson L-G, Bodin L. Parkinson’s disease and occupational exposures: a systematic literature review and meta-analyses. Scand J Work Environ Health. 2017;43(3) : 197-209. doi:10.5271/sjweh.3641.