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La démence sémantique
@/index.php?/profile/38-claudine-boulet/” data-ipshover-target=”https://aqnp.ca/forum/index.php?/profile/38-claudine-boulet/&do=hovercard” data-mentionid=”38″ rel=””>@Claudine Boulet : j’étais en train de te répondre à propos de ton patient suspect et… chemin faisant… le message s’est allongé plus que de raison ! Je propose donc d’ouvrir un topic propre à la démence sémantique. Nous pourrions y partager nos ressources et expériences cliniques.Les données que tu présentes (/index.php?/topic/132-d%C3%A9mence-corticale-mais-laquelle/” rel=””>dans ton topic) me parlent dans le cadre d’une hypothèse de démence sémantique.Pour illustrer tout ça sur le plan bibliographique, la revue de neuropsychologie a justement rendu gratuit l’accès à un numéro sur la mémoire sémantique, la démence sémantique, etc. C’est par ici : http://www.revuedeneuropsychologie.com/print/index.phtml?cle_parution=3290Notamment, on y trouve un très bon article de deux super collègues de Rennes : Belliard, S., Jonin, P. Y., & Merck, C. (2010). What ’ s new on semantic dementia ? Revue de neuropsychologie, 2(1), 31–37.
Depuis que je travaille en neurologie, j’ai eu l’occasion de rencontrer quelques patients atteints de cette pathologie. Je dispose d’un peu de matériel de supervision, notamment un patient qui a accepté d’être filmé à des fins pédagogiques.Remarque générale : je présente ici des bribes de bilan, ce qui me parait le plus utile en première consultation lorsqu’on a un doute sur l’hypothèse de démence sémantique. Il n’est pas toujours évident de faire le diagnostic différentiel, c’est selon chaque dossier bien sûr…Généralement, l’entretien est très spécifique, notamment cette notion bien décrite d’égocentrisme. Ils sont présentés comme peu empathiques par l’entourage, peu sensible aux troubles de l’humeur que peuvent développer les proches, l’épouse, les enfants. Ils s’enracinent dans un monologue qui n’est pas toujours évident de stopper. Par exemple, j’ai rencontré un médecin de famille qui m’était adressé dans le cadre d’une erreur de prise en charge chez une jeune patiente diabétique. L’erreur médicale était complètement désaffectée, la souffrance de l’épouse face à un mari de plus en plus étranger également. Durant l’entretien, il ne faisait que de me parler de son activité professionnelle, qu’il venait de mettre en place une nouvelle consultation, que ca lui demandait beaucoup de temps. À chaque fois que je tentais de changer de sujet, cela revenait irrémédiablement sur sa thématique professionnelle. Un autre patient passait son temps à me parler de ce qu’il faisait pour sa mère atteinte de maladie d’Alzheimer. À chaque question, cela finissait en « et bien justement.. Ça me fait penser à ma maman que j’ai prise en charge durant tout ce temps ! etc., etc. ».Dans la maladie d’Alzheimer, l’entretien est souvent marqué par une plus grande pauvreté. Dans la DS, c’est très évocateur je trouve.À côté de cela, la plainte est assez claire je trouve. Ils se plaignent de perdre les mots, le sens des mots, l’orthographe des mots ainsi que les noms de visages connus, des célébrités. Le second patient qui illustre mes propos avait cette plainte du sens des mots au départ et des noms. Il avait une activité judiciaire, devait défendre des professionnels de la route au tribunal. Il s’étonnait de devoir chercher l’orthographe de mots connus, de se poser des questions sur le sens de certains mots qu’il utilisait depuis longtemps.En lien avec ta description, une autre caractéristique est une certaine stupeur face aux difficultés. Contrairement au patient Alzheimer, le patient DS est très conscient que quelque chose ne va pas. C’est net dans la vidéo que je te propose ci-dessous. À chaque erreur, il y a cet étonnement (bien compréhensible) ponctué de questionnements sur la raison de ces oublis.Donc, lorsqu’à l’entretien je repère ce genre d’éléments (que je confronte au dossier médical, à l’âge du patient, etc.), j’ai tendance à insérer certaines épreuves « clés » pour ce type d’hypothèse.Je dirais que selon le degré d’évolution dans la maladie, les tests de mémoire épisodique peuvent poser problème. Comment retenir quelque chose qui ne fait plus sens ? Personnellement, j’ai souvent eu des patients très échoués sur le plan verbal à cause de l’atteinte sémantique. Côté visuel, c’est souvent bien meilleur ! Test des portes, DMS48 même si cette dernière épreuve implique une verbalisation un peu trop prononcée malheureusement.Voici une courte illustration sur un DMS48 assez bien réussi :À côté de cette asymétrie mnésique, je recherche systématiquement une atteinte langagière bien sûr. Celle-ci est en opposition avec les épreuves visuo spatiales et visuo constructives. Les patients DS rendent bien compte de la préservation de la voie dorsale, occipito pariétale.J’utilise les aspects sémantiques de la BDAE parce que l’épreuve n’est pas trop longue et qu’elle contient des animaux et des objets manufacturés. Souvent, dans les premiers stades de la démence sémantique, il est possible d’observer une nouvelle dissociation avec des performances effondrées pour le vivant et des performances moins déficitaires pour le manufacturé. Les hypothèses sont diverses à ce sujet. Celle du double encodage, sémantique et de pattern d’action, me convient bien. Les objets manufacturés bénéficieraient d’un encodage plus distribué, temporal antérieur et fronto pariétal pour les connaissances fonctionnelles, utilisation et gestuelle. Ce n’est pas du tout frais, mais cet article revient sur les théories sous-jacentes à la question du vivant/non vivant. Il faut rencontrer un patient Alzheimer évolué pour y observer des performances déficitaires alors que dans la DS, l’atteinte est présente lors la première consultation.Le dessin d’animaux est une petite épreuve qui fonctionne bien également avec, encore une fois, une asymétrie dans la performance. Les animaux prennent souvent une forme prototypique. En début d’évolution, de nombreux oiseaux seront dessinés pareil, beaucoup de mammifères auront la même apparence (un bête animal à 4 pattes sans autre élément distinctif), etc. Au fur et à mesure, l’arbre sémantique se dénude et tout le règne animal prend la même forme, souvent grotesque (comme en annexe).Voici une vidéo de quelques dessins spontanés vivants/non vivants où l’on retrouve une forme d’asymétrie. Elle n’est pas totale, la vidéo a été réalisée au décours du suivi, à 2 ans. Je joins quelques images qui sont un peu plus « propres » ci-après.Un chevalLa figure de ReyIl existe de manière concomitante une dysorthographie de surface avec des erreurs de régularisation. J’utilise une dictée (MT86), c’est souvent très spécifique également. Il peut être très utile d’avoir recours à un orthophoniste pour caractériser les troubles et ce, d’autant plus qu’il sera un acteur important de la prise en charge par la suite.La dictée de mots (réguliers/irréguliers) et non-motsAnimaux (2mn)Ce patient ne présentait pas de trouble praxique et un syndrome dysexécutif modéré.Concernant la prise en charge, j’ai travaillé avec une orthophoniste. Compte tenu de la relative préservation des structures hippocampiques et sous hippocampiques, il est possible d’axer au départ sur une resémantisation expérimentale. Le patient ne resemantise pas, mais apprend par cœur certaines caractéristiques utiles pour distinguer des objets/animaux usuels. Nous avons mis en place un carnet par la suite afin que le patient puisse continuer à faire ses courses. Il savait comment l’utiliser et aller chercher la correspondance entre la tomate et son utilité, etc.C’est malheureusement du bricolage comme bien souvent, mais cette approche lui a permis de rester autonome.À côté de cela, je l’ai suivi pour du soutien psychologique. La maladie est très angoissante parce que le patient a une conscience accrue de ses difficultés et de son déclin. Ce soutien est très important. Il doit être fait par une personne connaissant bien la maladie, ce qui peut mettre de côté pas mal de nos collègues formés en psychopathologie seulement. Il doit être fait, tout court, parce que dans le cas contraire, j’ai pu observer une forme de nomadisme médical. Puisqu’il n’existe pas de traitement pharmacologique, ce type de patient peut avoir tendance à aller faire d’autres consultations médicales pour qu’on lui trouve une maladie « traitable ». J’ai le cas d’un patient qui a fini par trouver une consultation qui lui a diagnostiqué… une maladie d’Alzheimer ! Mis sous anticholinestérasique, il a très mal réagi. Vous imaginez bien ! Bon.. il est revenu vers nous, mais tout de même.Voilà, j’espère avoir apporté ma contribution à ce sujet tout à fait passionnant. Il n’y a rien d’innovant dans mon message, juste quelques balises cliniques utiles pour ceux qui n’ont pas l’habitude de rencontrer cette pathologie.PS : Je ne sais pas si vous avez l’habitude de filmer vos patients pour disposer de matériel pédagogique. Ça pourra faire l’objet d’un autre topic mais la démarche me semble essentielle pour une science du vivant comme la nôtre. Il y a un encadrement juridique et déontologique à respecter bien sûr. On m’a souvent dit que le patient ne voudrait pas. Pour l’avoir fait à de nombreuses reprises, je peux dire que c’est très rarement le cas.