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Expertises et objectivité
Posted by Anonyme on 11 octobre 2013 à 1 h 53 minLa question de l’objectivité dans les expertises légales faites en santé mentale semble être un sujet chaud ces jours-ci.
Le 28 juin, un article dans la presse indiquait qu’un juge s’interroge sur le travail des psychiatres, les comparant à des mercenaires: http://www.lapresse.ca/le-nouvelliste/justice-et-faits-divers/201306/28/01-4665775-un-juge-compare-les-psychiatres-a-des-mercenaires.php
Le 22 août dernier, une étude qui paraît dans Psychological Science nous informe que certains psychologues et psychiatres peuvent présenter un effet d’allégeance dans leurs conclusions: http://pss.sagepub.com/content/early/2013/08/21/0956797613481812
Finalement, le 1er octobre dernier, un psychologue a rédigé un article dans Le Devoir au sujet de l’absence d’outils valides et objectifs: http://www.ledevoir.com/societe/justice/388793/l-expert-psychiatre-et-la-necessite-de-garde-fous
Mes questions aux experts neuropsycholégaux de ce monde: la perception des expertises effectuées en neuropsychologie est-elle habituellement différente en lien avec l’utilisation de tests psychométriques? Sommes-nous considérés comme étant plus “objectifs”, bien que la décision de l’expert neuropsychologue, au final, relève toujours de la subjectivité qui découle du jugement clinique?
Anonyme répondu Il y a 9 années, 10 mois 4 Membres · 6 Réponses -
6 Réponses
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Excellent sujet pour partir le bal Jean-Pierre !
J’ai seulement accès à l’abstract de l’étude de Murrie mais… outch. Disons que ça pourrait faire perdre ses illusions à ceux et celles qui s’imaginaient que tous les experts sont “purs”. Ainsi va la nature humaine.
Il y avait aussi eu un long dossier dans l’Actualité dont on retrouve le début ici: http://www.lactualite.com/societe/les-dessous-de-laffaire-turcotte/. L’ex-conjointe de Guy Turcotte, Isabelle Gaston, s’en prend dans cet article au “système des experts” des tribunaux québécois. On y explique que le gouvernement considère la possibilité de passer un jour à un expert unique par dossier.
Concernant les propos du juge Pronovost, je suis d’avis que ce qu’il dit tout haut, presque tout le monde le pense tout bas. Malheureusement, des mercenaires, ça existe, il y en a probablement dans toutes les spécialités, et ils font é.n.o.r.m.é.m.e.n.t de tort au système, mais surtout aux victimes du système.
Pour la question de l’objectivité, j’ai l’impression que notre discipline est effectivement perçue comme plus objective que la moyenne et que ça diminue quelque peu les probabilités que deux experts présentent des thèses diamétralement opposées dans des cas d’atteinte claire d’une certaine fonction cognitive par exemple. Par contre, il ne faut pas se leurrer… il y a évidemment toujours une grande part de subjectivité (ça reste de la clinique) et ça n’exclue donc aucunement la possibilité que des neuropsychologues soient biaisés (consciemment ou inconsciemment) dans leurs conclusions selon l’identité du mandataire. C’est particulièrement le cas pour ce qui est de la validité des résultats (tests de validité, sensibles à l’amplification/simulation) selon moi. Si on croise une telle personne sur notre chemin, c’est notre responsabilité d’en informer l’OPQ car nous sommes les mieux placés pour constater de tels manquements à notre code de déontologie. Agir ainsi permet à la fois de protéger le public et “l’honneur” de notre profession.
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On ne peut pas dire que votre sujet n’est pas d’actualité…
http://www.lapresse.ca/le-soleil/actualites/justice-et-faits-divers/201310/10/01-4698678-relation-apaisante-et-instructive-pour-la-victime-selon-le-psychiatre-des-redemptoristes.php -
Franchement… Un rapport de 260 page de ce psychiatre-expert engagé par les Rédemptoristes pour soutenir la thèse selon laquelle ces abus sexuels constituaient une “relation à la fois nuisible et bénéfique pour la victime”………………………
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@ Jean-Pierre qui écrit : « la décision de l’expert neuropsychologue, au final, relève toujours de la subjectivité qui découle du jugement clinique? »
La décision de l’expert neuropsychologue relève de l’analyse des données OBJECTIVES de son évaluation. Là est la spécificité de notre discipline, on va au-delà de la subjectivité grâce à l’utilisation d’épreuves psychométriques que les psychiatres n’ont pas. Nos évaluations sont d’ailleurs bien reconnues devant les tribunaux.
Il y a donc très peu de place à la subjectivité. Bien sûr que l’intuition clinique est un outil précieux, mais si les données objectives disent le contraire de notre intuition, les données l’emportent.
Ceci étant dit, il revient à l’expert neuropsy d’interpréter les résultats tels qu’ils doivent être interprétés et non pas de les interpréter subjectivement. J’ai lu des rapports d’expertise dans lesquels les échecs au TOMM étaient expliqués par la fatigue, par des « intrusions somatiques » et autres interprétations accommodantes… Non seulement agir ainsi est de l’incompétence, mais c’est en plus de la complaisance.
Ceci nous amène à l’impartialité : le rôle de l’expert neuropsy, ce N’EST PAS de faire gagner la cause au client. Gagner la cause, c’est le rôle de l’avocat ; il n’est payé que pour ça. Le rôle de l’expert est de donner une opinion scientifique juste permettant d’éclairer la cour (ou l’organisme décideur). Un point c’est tout. Bien sûr, il arrive que l’avocat et le client ne soient pas contents, car notre opinion ne les avantage pas ; comme expert, il faut être capable de vivre avec ça. Sinon, vaut mieux changer d’activité professionnelle.
Enfin, je suis d’accord avec Simon qui dit qu’il faut « protéger le public et “l’honneur” de notre profession ». Ça commence par s’abstenir de faire copain-copain avec l’avocat qui nous mandate (le mandant) et de faire preuve d’une attitude de neutralité en cour.
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Anonyme
Invité11 janvier 2014 à 4 h 43 min@ Jean-Pierre qui écrit : « la décision de l’expert neuropsychologue, au final, relève toujours de la subjectivité qui découle du jugement clinique? »
La décision de l’expert neuropsychologue relève de l’analyse des données OBJECTIVES de son évaluation. Là est la spécificité de notre discipline, on va au-delà de la subjectivité grâce à l’utilisation d’épreuves psychométriques que les psychiatres n’ont pas. Nos évaluations sont d’ailleurs bien reconnues devant les tribunaux.
Il y a donc très peu de place à la subjectivité. Bien sûr que l’intuition clinique est un outil précieux, mais si les données objectives disent le contraire de notre intuition, les données l’emportent.
Je me suis peut-être mal exprimé. Quand j’ai mentionné la subjectivité du jugement clinique, je faisais référence à cette part d’incertitude ou d’imprécision qui persiste dans toute évaluation, malgré l’administration de tests psychométriques et le haut respect des standards cliniques et scientifiques de la profession. Je faisais donc référence au “bruit” (aléatoire ou non) qui existe à différents endroits dans une évaluation neuropsychologique et qui fait en sorte qu’au final, deux experts qui font leur travail selon les règles de l’art arrivent malgré tout à des conclusions divergentes, et ce même s’ils peuvent avoir accès aux mêmes données brutes.
Si on prend le cas d’un individu qui a un accident, pour lequel le requérant pose les trois questions suivantes:
A-quel est le niveau de fonctionnement prémorbide
B-quel est le degré de l’atteinte subie lors de l’accident
C-dans quelle mesure cette atteinte empêchera-t-elle l’individu d’occuper un emploi
Deux neuropsychologues experts pourraient diverger, ne serait-ce que subtilement, dans leur façon de calculer ou de considérer(ou donner un poids plus ou moins important à…):
-un effet de pratique dû à une admin. antérieure du WAIS;-l’erreur de mesure au WAIS;-un score cut-off approprié;-une évaluation approximative du fonctionnement prémorbide selon les faits rapportés;-une légère amplification des symptômes cognitifs possiblement présente;-l’impact d’avoir fait quelques années de scolarité dans un milieu unilingue anglophone alors que la langue maternelle de l’individu est le français;-l’impact d’une position sur un débat théorique qui a un impact réel sur le calcul des données brutes (ex. effet Flynn, voir Atkins vs Virginia);
-etc.Je connais très peu de neuropsychologues qui vont sortir leur calculatrice afin de compiler avec des + et des – (et à la virgule près) tous les facteurs énumérés ci-haut. En fait je n’en connais pas encore. Je trouve qu’une citation du livre Neuropsychology in the courtroom(…) va dans ce sens: Despite strong evidence that actuarial methods can be, and often are, superior to clinical judgment (Dawes, Faust, & Meehl, 1989; Grove & Lloyd, 2006; Marchese, 1992), clinical judgment remains the conditio sine qua non (…) of neuropsychological assessment. (p.243).Si je reprends les 3 questions du requérant:A-à mon souvenir, le dernier compendium relate 3-4 façons différentes et toutes imparfaites d’estimer le fonctionnement prémorbide (ex.: prendre le score le plus élevé au WAIS, mesurer une habileté plus robuste aux atteintes comme la lecture), en précisant que le jugement du clinicien est de loin la méthode la moins fiable. Déjà à cette étape, il peut y avoir divergence pour des raisons objectives comme subjectives.
B-considérant le point A-, le degré de l’atteinte pourrait différer selon le niveau de fonctionnement prémorbide estimé, et ce pour un même jeu de données brutes.
C-certains tests ont une meilleure validité externe que d’autres. Si les 2 experts ont les mêmes données brutes, ça peut aller. Mais si un expert utilise un test de mémoire plutôt qu’un autre par habitude, il se peut que son test lui permette de faire une moins bonne ou meilleure prédiction quant aux difficultés mnésiques qui vont être rencontrées au quotidien.
Chez nos deux experts fictifs, le premier pourrait conclure à un DAP inférieur à celui du deuxième et proposer un retour au travail à temps partiel à l’emploi occupé en prémorbide, alors que le deuxième pourrait proposer un travail allégé, pour toutes les raisons évoquées ci-haut. Et je souligne encore une fois que les 2 experts pourraient avoir fait un excellent travail, n’avoir commis aucune faute professionnelle et n’être jamais tombés dans la complaisance.Ce que j’essaie d’illustrer ici n’est pas du tout propre à la neuropsychologie. En radiologie, il semblerait y avoir un problème inter-juge sur la façon que les MD vont percevoir et juger les images médicales. Depuis les 30 dernières années, les psychologues se sont fait un plaisir à étudier les radiologistes et leur entraînement perceptif pour des raisons évidentes. Juste pour donner un autre exemple, il semblerait y avoir plusieurs façons différentes de mesurer la vitamine B12 dans les prises de sang, tout comme il existe différentes façons d’évaluer la mémoire à long-terme verbale ou visuelle.
Ceci étant dit, je suis conscient que je suis en bien meilleure posture qu’un psychiatre pour évaluer les fonctions mentales supérieures, et que les méthodes de la neuropsychologie clinique permettent d’enlever une grande part de subjectivité que l’on retrouve dans une entrevue clinique. Mon message est tout simplement qu’on doit tenir compte des biais qui sont propres à notre discipline. S’il y a inaction totale ou ignorance face à ces biais possibles, alors là on tombe dans l’incompétence ou la complaisance.
En lien avec mon message original, ma question aurait dû être comprise ainsi: comme les neuropsychologues ont recours à des tests psychométriques dans leurs évaluations, leurs témoignages sont-ils habituellement accompagnés d’un préjugé favorable, même si l’évaluation neuropsy. comprend quelques biais inhérents, comme c’est le cas dans n’importe quelle discipline?
Désolé pour la longueur mais c’est un sujet qui m’intéresse beaucoup!